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A monsieur de Barillon

Jean de La Fontaine, Fable IV, Livre VIII

dimanche 27 décembre 2015, par Marc Weikmans

Cette fable est dédiée à M. De Barillon, l’ambassadeur de Louis XIV. La Fontaine veut convaincre son interlocuteur, il doit persuader le roi d’Angleterre de l’inutilité d’une guerre avec la France.
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Cette fable s’inscrit dans son temps, elle est assez décisive, le contexte est celui d’une guerre proche. En fait, elle se compose de deux fables, la première est une longue dédicace à M. de Barillon en forme d’éloge qui prend l’allure d’une fable pour en présenter une autre. La deuxième contient une fable, elle avance une argumentation complète, plus qu’un discours purement rhétorique qui n’est pas toujours accessible à tous. La fable remplit ses deux fonctions, plaire et instruire, elle a donc un but didactique, mais capte l’attention des lecteurs.


La qualité d’ambassadeur
Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?
S’ils osent quelquefois prendre un air de grandeur
Seront-ils point traités par vous de téméraires ?
Vous avez bien d’autres affaires
A démêler que les débats
Du lapin et de la belette,
Lisez-les, ne les lisez pas ;
Mais empêchez qu’on ne nous mette
Toute l’Europe sur les bras.
Que de mille endroits de la terre
Il nous vienne des ennemis,
J’y consens ; mais que l’Angleterre
Veuille que nos deux rois se lassent d’être amis,
J’ai peine à digérer la chose.
N’est-il point encor temps que Louis se repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las
De combattre cette hydre ? et faut-il qu’elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?
Si votre esprit plein de souplesse,
Par éloquence et par adresse,
Peut adoucir les cœurs et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons : c’est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse ;
Cependant faites-moi la grâce
De prendre en don ce peu d’encens ;
Prenez en gré mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu’ici je vous dédie.
Son sujet vous convient, je n’en dirai pas plus :
Sur les éloges que l’envie
Doit avouer qui vous sont dus,
Vous ne voulez pas qu’on appuie.

Dans Athène autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et d’un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l’écoutait pas. L’orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.
Le vent. emporta tout, personne ne s’émut ;
L’animal aux têtes frivoles,
Étant fait à ces traits, ne daignait l’écouter ;
Tous regardaient ailleurs ; il en vit s’arrêter.
A des combats d’enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Cérès, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l’anguille et l’hirondelle ;
Un fleuve les arrête ; et l’anguille en nageant,
Comme l’hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. » L’assemblée à l’instant
Cria tout d’une voix : « Et Cérès, que fit-elle ?
- Ce qu’elle fit ? Un prompt courroux
L’anima d’abord. contre vous.
Quoi ? de contes d’enfants son peuple s’embarrasse !
Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l’effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? »
A ce reproche l’assemblée,
Par l’apologue réveillée,
Se donne entière à l’ orateur :
Un trait. de fable en eut l’honneur.

Nous sommes tous d’Athène en ce point, et moi même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d’âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. ?