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Mais que sont donc les fables ?

Une approche pédagogique qui a des allures théâtrales.

jeudi 10 décembre 2015, par Marc Weikmans

Au travers de son histoire, du VIIIème siècle avant J.-C. jusqu’au XXIème siècle de notre ère, je tente ici de présenter les fables qui sont courts récits moralistes.

  • Définition.
  • Hésiode, premier conteur de fables.
  • L’Augustana, le premier recueil de fables publié.
  • Phèdre et le premier genre poétique de la Fable.
  • Moyen Âge et moralité.
  • Influences en Asie et retour ’’coloré’’ en France.
  • Le génie de Jean de La Fontaine.
  • Le siècle où la fable se fait pédagogique et dramatique.

    Définition.

    La fable est un court récit plutôt écrit en vers qu’en prose, et ayant un but didactique, pédagogique et, à de très rares exceptions près, toujours moraliste. Elle se caractérise généralement par l’usage d’une symbolique animale, des dialogues vifs, et des ressorts comiques. La morale est parfois, indirectement, destinée à de hauts personnages de l’époque, soit une manière élégante de leur signifier ce que l’on en pense.

    Les fables les plus caractéristiques comportent un double renversement des positions tenues par les personnages principaux : c’est l’apologue [1] animé. La fable, dans sa forme la plus simpliste, était déjà pratiquée en Mésopotamie, près de deux millénaires avant notre ère. Des tablettes provenant de bibliothèques scolaires de l’époque, racontent brièvement des histoires de renard vantard, de chien gaffeur, de moustique présomptueux. Beaucoup de ces textes montrent une grande affinité avec les proverbes et ont une construction antithétique [2]. Toutefois, ils ne possèdent jamais de morale implicite. Exemple : « Ce que tu as trouvé, tu n’en parles pas ; mais ce que tu as perdu. »


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    Hésiode, premier conteur de fables.

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    Hésiode
    La première fable reconnue comme telle, est « Le rossignol et l’épervier », que raconte Hésiode aux alentours du VIIIème avant J.-C., dans : « Les travaux et les jours. » on y voit un pauvre rossignol qui, pris dans les serres d’un épervier (ou faucon), lui fait la leçon. Cette fable vise à faire réfléchir sur la notion de justice, à l’aide d’un raisonnement antithétique, où le personnage principal exploite outrageusement sa position de force.


    Le Rossignol et l’Epervier, par Hésiode

    Un rossignol sur un chêne élevé chantait à son ordinaire. Un épervier l’aperçu, et, comme il manquait de nourriture, il fondit sur lui et le lia. Se voyant près de mourir, le rossignol le pria de la laisser aller, alléguant qu’il n’était pas capable de remplir à lui seul le ventre d’un épervier, que celui-ci devait, s’il avait besoin de nourriture, s’attaquer à des oiseaux plus gros. L’épervier répliqua : « Mais je serais stupide, si je lâchais la pâture que je tines pour courir après ce qui n’est pas encore en vue. ».

    La morale : Chez les hommes aussi, ceux-là sont déraisonnables qui dans l’espérance de plus grands biens laissent échapper ceux qu’ils ont dans la main.

    La fable se développera surtout sous la plume d’Esope, qui aurait vécu au VIème siècle avant notre ère et qui est considéré comme Le père de la fable.

    A l’époque classique, Socrate lui-même, aurait consacré ses moments de prison avant sa mort à mettre en vers des fables d’Esope. Il s’en serait expliqué de la façon suivante :  »Un poète doit prendre pour matière des mythes […] Aussi ai-je choisi des mythes à ma portée, ces fables d’Esope que je savais par cœur, au hasard de la rencontre. » (61b)

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    Esope


    D’autres fabulistes de renom se sont également largement inspirés d’Hésiode – avec quelques nuances – tels que Marie de France et surtout Jean de La Fontaine qui a transformé « La sauterelle et la fourmi » en « La cigale et la fourmi ». La morale d’Hésiode étant : « On ne peut passer son temps à s’amuser ». Il ne faut pas y voir une forme de plagiat de ces fabulistes plus contemporains, seulement une présentation plus actuelle et dans un contexte plus accessible pour le public de leur époque.

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    L’Augustana, le premier recueil de fables publié.

    Démétrios de Phalère publie le premier recueil de fables historiquement attesté. Ce recueil, perdu, a donné naissance à d’innombrables versions. Une de celles-ci a été conservée sous la forme d’un ensemble de manuscrits datant probablement du Ier siècle de notre ère, appelée l’Augustana. c’est à cette collection que l’on se réfère lorsqu’on parle aujourd’hui des fables d’Esope.

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    Phèdre et le premier genre poétique de la Fable.

    De la Grèce, la fable passe à Rome. Horace propose une remarquable adaptation du Rat de ville et du rat des champs (satires, II, 6) que certaines critiques estiment supérieure à la version de Jean de La Fontaine. Il sera suivi par Phèdre qui va véritablement faire de la fable un genre poétique. La vogue de la fable est grande dans le monde –gréco-romain. Au VIème siècle, le poète romain Avianus en laisse une quarantaine, pour la plupart des adaptations de Phèdre mais dont plusieurs ne sont attestées utiles nulle part ailleurs et sont fort bien construites.

    De nombreuses fables inspirées d’Esope circulent au Moyen Âge (de l’an 500 au début du VIème siècle). Elles sont écrites en latin par Phèdre (Ier siècle), Babrius (IIème siècle) et Avianus (fin du IVème siècle). Les fables d’Avianus sont étudiées par tous les écoliers. Celles de Phèdre, largement recopiées dans les monastères, font l’objet, vers 1175, de deux adaptations en vers latins, qu’on appelle le Romulus.

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    Moyen Âge et moralité.

    La fable continue à se transmettre à travers tout le Moyen Âge sous des noms d’auteurs ou de collections qui ressemblent à des pseudonymes : Romulus, Syntipas, peuso-Dositée, mais la qualité littéraire est alors délaissée au profit des moralités.

    La thématique de la fable prend une singulière expansion avec le Roman de Renart, collection de récits dus à des clercs anonymes du XIIème siècle. Mais le douzième siècle sera fructueux : Marie de France publie un recueil de 63 fables.

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    Buste de Marie De France



    Ces fables, familières aujourd’hui encore grâce à Jean de La Fontaine, mettent en scène un monde animal pour un enseignement moral qui se double souvent d’une satire sociale et politique.

    C’est sur ce modèle, qu’au milieu du XIIsup siècle, un moine de Gand, appelé Nivard, rédige un poème en latin de 6500 vers. Dans ces histoires inspirées d’Ysengrinus où apparaissent le personnage de Reinardus [3] et ses premières aventures, la lutte du renard contre le loup, sert de prétexte à une vigoureuse satire de la société féodale et de ses injustices. La fable cède ici la place à une comédie animale où tout se tient.

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    Influences en Asie et retour ’’coloré’’ en France.

    La fable a également connu un succès remarquable en Inde, avec le Pañchatantra. Originellement rédigé en sanscrit, entre -300 et 570, ce recueil de fables connaîtra d’innombrables remaniements. L’une des versions dérivées s’intitule Hitopadesha ou "L’instruction utile". On y trouve le bestiaire habituel des fables : âne, lion, singe, serpent…, avec la différence que le chacal y joue le rôle du renard.

    Elle influence l’Occident au terme d’un cheminement fort complexe. D’abord introduit en Perse et traduit en arable sous le titre "Kalîla wa Dimna", elle sera ensuite traduite en hébreu, puis en latin sous le titre : Directorium humanae vitae en 1280. Pierre Poussines en fait une autre traduction en 1666 sous le titre : Specimen sapientiae Indorum veterum.

    Une persion persane sera à son tour traduite en français en 1644 sous le titre : Le livre des lumières ou la Conduite des Rois., composée par le sage Pilpay Indien, traduite en français par David Sahid, d’Ispahan, ville capitale perse, le nom du traducteur étant en fait un pseudonyme de Gilbert Gaulmin.

    Ces ouvrages inspirent à leur tourcertaines favles de La Fontaine, notamment : "L’Ours et l’Amateur des jardins", "La laitière et le pot au lait", "La Tortue et les deux Cygnes" et "Les Poissons et le Cormoran".

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    Le génie de Jean de La Fontaine.

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    Jean de La Fontaine



    En France, le succès prodigieux des fables de Jean de La Fontaine inspire bien des vocations : du grand seigneur au commis, en passant par le magistrat, le curé ou le marchand, tout un chacun s’essaie alors au genre de la fable.

    Ci-dessous, en pointant sur la vignette, un document à lire et à relire !

    Le jésuite François-Joseph Desbillons [4], professeur, en produit cinq cent soixante. Jean-Jacques Boisard [5], publie un recueil qui en contient mille et une. Jean-Pons-Guillaume Viennet publie en 1843, les fables qu’il a écrites pendant toute sa vie. Même Napoléon Bonaparte, avant d’être sacré Empereur, en compose une, jugée assez bonne à l’époque.

    Tous ces auteurs sont retombés dans l’oubli car peu usités en pédagogie scolaire et leurs publications ne seront plus rééditées. Un seul nom a survécu durablement au côté de celui de La Fontaine ; c’est celui de Jean-Pierre Claris, Chevalier de Florian (1755-1794). Son recueil compte une centaine de fables. Celles-ci sont orientées soit vers une morale politique, soit vers une morale privée. Il s’inspire parfois de l’anglais John Gay ou de l’espagnol Tomás de Iarte y Oropesa.

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    Le siècle où la fable se fait pédagogique et dramatique.

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    Ivan Andreïevitch Krylov


    Au XIXème siècle, la fable ne sera guère plus pratiquée en littérature ; elle devient un outil didactique et pédagogique. En Russie toutefois, Ivan Krylov [6] en fera son genre de prédilection. La fable classique repose sur une structure double. Dès le titre, on trouve une opposition entre deux personnages dont les positions subjectives sont dissemblables : l’un est placé en position "haute" et l’autre en position "basse". Grâce à un événement narratif imprévu, celui qui était en position "haute" se retrouve en position "basse" et vice versa. Ce schéma est désigné par Christian Vandendorpe [7] comme un "double renversement". Ce schéma, qui se retrouve dans des dizaines de fables (souvent les plus populaires), permet de « bloquer » la compréhension et de véhiculer une moralité claire.

    Comme le dit Hegel [8], « la fable est comme une énigme qui serait toujours accompagnée de sa solution. » Même si la fable n’a plus la popularité qu’elle a eue, le schéma qui en fait la force se retrouve dans le fait divers et dans la légende urbaine.

    Pour Aristote, « la fable est l’un des dix éléments de la tragédie, avec ses caractères, le chant, l’élocution, la pensée et le spectacle. ». la fable tragique est l’enchaînement des actions et des faits exposés, formant la narration. Autrement dit, dans le langage cinématographique, le scénario.

    Car comme le disait Friedrich Nietzche dans "La philosophie à l’époque tragique des Grecs" : « Ils ont inventé les grands types de l’esprit philosophique, et la postérité toute entière n’a plus rien inventé d’essentiel qui puisse y être ajouté. ».

    Ainsi, le modèle "philosophique" de la fable, est un instrument pédagogique qui date de la période grecque des Présocratiques. ce moyen didactique a continué à évoluer jusqu’au XIXème siècle avec souvent des "mises au goût du jour". Les besoins moralistes et pédagogiques alternatifs ont été à la source de créations originales et ce, particulièrement au XIIème siècle et XVIIème siècles.

    La fable n’a rien perdu de son "actualité" lorsque l’on se penche sur les thèmes moralistes évoqués ; toutefois, ce modèle de "lecture" a tendance à se perdre dans l’oubli, quant à ce modèle littéraire, qui sait ? Un jour peut-être, un regard neuf sera apporté à ces quelques six mille fables francophones que l’on peut actuellement recenser.

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    [1L’apologue est un récit illutrant quelque vérité. Il est aussi défini comme un court récit, exposé sous forme allégorique, et qui renferme un enseignement, une leçon de morale pratique.


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    [2L’Antithèse (ou ce qui est antithétique) est une figure de style opposant dans un même énoncé deux mots ou expressions contraires, afin de souligner une idée par effet de contraste.

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    [3Le Renard et le Loup, sont des symboliques du Moyen Âge.
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    [4François-Joseph Desbillons, poète latin moderne, est né en 1711 à Châteauneuf en Berry et mort en 1789. il entra chez les Jésuites, enseigna les humanités avec distinction à Nevers, à Caen, à La Flèche, puis vint à Paris afin de s’y livrer à son goût pour la littérature. Lors de la dissolution de la Société des Jésuites, il se retira à Manheim où il resta jusqu’à sa mort. On a de lui, 15 livres de fables latines fort estimées sous le titre : Fabulai Msopicae, Manheim 1768 ; deux poèmes : Ars bene valendi 1788 ; De pace Christiana, 1789. Dans Des Miscellanea, publié en 1792, on trouve des odes, des lettres et deux nouveaux livres de fables. Il s’est beaucoup rapproché de Jean de La Fontaine.
    [5Jean-Jacques François Marin Boisard, né à Caen en 1744 et décédé en 1833, est un fabuliste français. Il était secrétaire de l’intendance de Normandie depuis 1768 lorsqu’il fut nommé secrétaire du conseil des Finances du comte de Provence en 1768, puis secrétaire du sceau et de la Chancellerie du comte de Provence en 1778 jusqu’en 1790. Après quelques années passées à Paris où ses opinions antirévolutionnaires ne lui valant que des problèmes, il retourne dans sa ville natale. Il commença à faire des fables en 1764, il est l’auteur de huit cent recueils de fables dont Voltaire a parlé avec éloge dans sa correspondance privée avec Diderot. Il a écrit plus de mille fables (publiées en divers recueils de 1773 à 1805). A la révolution, il tomba dans l’oubli. Il a été membre de l’Académie de Caen. Son neveu, né en 1762, a également été auteur de fables ainsi que peintre (1817-1822).
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    [6Ivan Andreïevitch Krylov (en russe : Иван Андреевич Крылов, Moscou, 13 février 1769 - Saint-Pétersbourg, 21 novembre 1844) est un écrivain et fabuliste russe.

    Après avoir débuté par des drames et des comédies satiriques, il publie en 1809 un premier recueil de fables. Celui-ci sera suivi de plusieurs autres recueils, qui vaudront à leur auteur une immense popularité. Les fables de Krylov empruntent souvent leurs sujets à celles d’Ésope et de La Fontaine.

    Les premières fables de Krylov, inspirées d’Ésope et de La Fontaine, parurent au nombre de 23 en 1809. Il connut enfin une certaine reconnaissance. De 1812 à 1841, il obtient un poste à la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, ce qui lui permet d’assurer son quotidien. En 1811, il devient académicien et reçoit une médaille d’or pour ses fables. En 1838, on organise pour lui une grande réception jubilaire et l’empereur Nicolas Ier lui octroie une pension à vie. Il est en pleine gloire.

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    Ivan Andreïevitch Krylov
    À sa mort en 1844, sa popularité est grande dans tout l’empire : Ses dernières 197 fables venaient de paraître. Les familles prisaient son mélange d’humour et de sagesse. Sa langue est idiomatique, simple, directe et de qualité.

    C’est encore aujourd’hui un auteur incontournable pour la jeunesse russophone.

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    [7Christian Vandendorpe, né en 1943 à Blandain (Tournai), est un professeur retraité de l’Université d’Ottawa. Intéressé par la sémiotique (sémiotique cognitive) et la rhétorique, il s’est spécialisé dans les théories de la lecture. Il a également travaillé sur la didactique de l’écrit, les liens entre le numérique et le savoir (production, diffusion, réception, apprentissage ; texte et hypertexte) et le récit de rêve.

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    [8Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) est un philosophe allemand. Son œuvre, postérieure à celle de Kant, est l’une des plus représentatives de l’Idéalisme allemand et a eu une influence décisive sur l’ensemble de la philosophie contemporaine.

    Hegel enseigne la philosophie sous la forme d’un système de tous les savoirs suivant une logique dialectique. Le système est présenté comme une « phénoménologie de l’esprit » puis comme une « encyclopédie des sciences philosophiques », titres de deux de ses ouvrages, et englobe l’ensemble des domaines philosophiques, dont la métaphysique et l’ontologie, la philosophie de l’art et de la religion, la philosophie de l’histoire, la philosophie morale et politique ou la philosophie du droit.
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