L’école de Milet

La plus étonnante aventure de la philosophie commence au VI^ème siècle av. J.C. en Ionie. Et plus précisément à Milet, florissante cité d’Ionie, riche d’une multitude d’influences culturelles. Ville portuaire, elle commerce avec tous les pays du bassin méditerranéen. Par voie terrestre, elle est en contact avec l’Orient. On ne s’étonnera pas que les Milésiens aient emprunté aux cultures orientales les savoirs qu’elles avaient accumulés, notamment dans les domaines de l’astronomie et des mathématiques. Ce n’est pas dire que la pensée grecque fut fille de l’Orient. L’idée est accréditée par nombre de doxographes qui mentionnent les voyages des philosophes ioniens en Orient. Et de fait, on sait que les Babyloniens, les Chaldéens, les Phéniciens, les Egyptiens avaient de solides connaissances en calcul, en astronomie, en agronomie ou en navigation. Mais des savoirs accumulés ne font pas la science ! il fallait une autre démarche, un autre esprit, une méthode. En ce sens, trois « sages » [1] Thalès, Anaximandre et Anaximène. Ils sont les premiers à avoir spéculé sur la nature et les phénomènes naturels. Pour cette raison, Aristote les appellera les « physiciens » ou « physiologues ».

Ils veulent expliquer l’univers. Sans convoquer les dieux. Comprendre et définir les lois de la nature. À partir de quels éléments, de quel élément ou principe, les choses s’en-génèrent-elles pour former un monde où tout change sans cesse et qui reste pourtant toujours le même ?

Des premiers penseurs de Milet, Thalès, Anaximandre et Anaximène, il ne reste que de très brefs fragments, voire, pour Thalès, rien, si ce n’est des récits et des paroles rapportés. Cette origine silencieuse a laissé place à une figure proche d’une légende. En quel sens ces penseurs peuvent-ils donc être tenus pour les « premiers savants », premiers géographes, premiers astronomes et mathématiciens grecs ? L’enquête « sur la nature », pose la physis comme un tout, un cosmos, et en cherche la rationalité à travers la question de l’archè, le principe. Selon Thalès, le principe fondamental est l’eau, selon Anaximène, l’air, selon Anaximandre, ni l’un ni l’autre, mais ce qu’il nomme apeiron, l’illimité ou l’indéfini qui reçoit toutes les déterminations. L’usage de la raison n’est pas né à Milet, ni la science au sens contemporain du terme, mais « la communauté des philosophes depuis Thalès », selon l’expression de Husserl, a régulièrement cherché son acte de naissance sur les rives du Méandre ; déjà pour Platon, dans le Théétète, Thalès est l’ancêtre commun de tous ceux qui aiment le savoir.