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Les présocratiques

jeudi 15 août 2024, par Marc Weikmans


« Ils ont inventés les grands types de l’esprit philosophique, et la postérité tout entière n’a plus rien inventé d’essentiel qui puisse y être ajouté »

Friedrich Nietzsche
La philosophie à l’époque tragique des Grecs


  • Que sont les philosophes ?
  • Qu’entends-t’on par présocratiques ?
  • Quelques repères... Un peu d’histoire
  • Fragments, citations, témoignages

    Que sont les philosophes ?

    Les philosophes sont aussi et plus souvent qu’on le pense, des aventuriers. Les idées communément admises en leur temps ne les satisfont pas. Esprits curieux, ils s’avancent alors avec une audace inouïe et de fulgurantes intuitions sur une terre inconnue, l’observent et la défrichent comme nul ne l’avait fait avant eux. Il arrive que leurs questionnements plus que leurs réponses inaugurent une nouvelle façon de penser, ouvrent des chemins dont on ne s’écartera plus. Tel fut le cas des premiers aventuriers de la raison, ces astronomes, géomètres, poètes, prophètes, mages, devins, philosophes enfin, que la tradition appela « présocratiques ». Certes, on ne les avait pas attendus pour penser le monde. Mais ils le firent autrement. Les mots n’existaient pas encore, du moins tel que nous les entendons aujourd’hui, et pourtant, de leurs réflexions allaient naître science et philosophie.

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    Qu’entends-t’on par présocratiques ?

    Le terme « présocratiques » aujourd’hui d’usage courant, est ambigu et critiquable à bien des égards. Il semble désigner des « précurseurs » et ne définit pas leurs caractéristiques spécifiques et essentielles. S’il accord à la figure de Socrate un relief particulier, ce qui n’est pas contestable, il implique un jugement de valeur qui, lui, peut être contesté. Les « précurseurs » sont bien vite « dépassés » voire « résorbés », ce qui constitue un sort peu enviable. Les voilà relégués comme de vieux penseurs qui n’ont plus rien à nous apprendre puisque tout a été dit et mieux dit après. Cette idée n’a plus cours aujourd’hui, bien au contraire. À l’instar de Hegel, Nietzsche et Heidegger qui chacun pour des raisons bien différentes les ont sortis de l’oubli, on peut aujourd’hui leur porter un tout autre regard. « Ne les considérons pas comme des ‘’précurseurs’’ qui ne sont en fin de compte que des objets artificiels obtenus par une lecture à rebours de l’histoire. Ce sont – les plus grands du moins – des ‘’initiateurs’’ : au commencement historique de la libre réflexion, ils conservent du même coup un privilège qui pourrait bien être celui d’une fraîcheur originaire où l’on fut bien inspiré d’aller souvent retremper et renouveler le modernisme le plus résolu. »

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    Quelques repères… Un peu d’histoire

    La Grèce, aux VIIème et VIème siècle av. J.C., s’étend bien au-delà de ses frontières actuelles. Elle comprend, outre la péninsule et ses îles, l’Italie du sud et la Sicile (La Grande Grèce), les côtes de l’Asie Mineure (les rives occidentales de l’actuelle Turquie), ainsi que de nombreuses colonies tout autour de la Méditerranée et jusqu’en mer Noire. C’est là le résultat d’une longue histoire. Au cours des siècles précédents, la Grèce a connu deux brillantes civilisations, crétoise et mycénienne, puis une coupure brutale de quatre siècles, les « temps obscurs ». Vers la fin du XIIIème avant J.C., palais et forteresses furent détruits, l’usage de l’écriture, perdu, les contacts avec l’Orient, rompus. Effets dévastateurs de nouvelles invasions ? Catastrophe naturelle ? Conflits internes ? Parmi les historiens et archéologues, nul ne sait avec certitude, aujourd’hui encore, ce qui provoqua l’effondrement du monde mycénien. Peu après ces grandes destructions, commença la migration des populations du continent vers les côtes de l’Asie Mineure.

    Une majorité d’Eoliens [1] s’installèrent au nord qui devint l’Eolide. La plupart des Ioniens [2] s’installèrent au nord qui devint l’Eolide. Émigration qui entraîna des conséquences importantes. Les villes qu’ils fondèrent, Milet, Colophon, Samos, Chios, Smyrne, Ephèse, Phocée, en Ionie, ou encore Cnide et Halicarnasse en Carie, furent des centres commerciaux, intellectuels, artistiques et religieux particulièrement actifs.

    Puis, ce fut sur les rives de la Méditerranée et de la mer Noire, que les Grecs
    fondèrent des colonies. Ainsi au VIIIème siècle av. J.C., et sans doute avant, le monde grec que les sources permettent à nouveau de connaître, à radicalement changé. Au cours de cette longue nuit qui ne fut pas sans histoire, il s’est considérablement agrandi. Mais surtout, des évolutions et révolutions décisives ont eu lieu. L’invention d’une écriture alphabétique, empruntée aux Phéniciens, mais enrichie et transformée pour un usage plus courant, à la portée de tous. La reprise des relations avec l’Orient. Et l’apparition de la cité (polis), cette forme politique caractéristique de la civilisation grecque qui s’est peu à peu mise en place après la chute des royaumes mycéniens. « À la place du roi dont la toute-puissance s’exerce sans contrôle, sans limite, dans le secret de ses palais, la vie politique grecque se veut l’objet d’un débat public, au grand jour de l’agora [3] , de la part des citoyens, définis comme des égaux et dont l’état est l’affaire commune. » La pensé prend ses distances avec l’ordre ancien, la tradition et les mythes. Et même si les dieux ne désertent jamais tout à fait ni le ciel ni la terre, cette distance était suffisante sinon essentielle pour que s’exprime et se fonde un savoir rationnel.

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    Fragments, citations et témoignages

    Que nous reste-t-il des écrits présocratiques ? Des fragments et témoignages ! Fragments épars, sentences, poèmes, vers, transmis au cours des siècles sous la forme de citations par des auteurs postérieurs, de Platon au IVème siècle av. J.C. à Simplicius au VIème siècle apr. J.C.

    On appelle fragments les citations que l’on tient pour littérales et témoignages les commentaires. Cette distinction est le résultat d’un immense travail d’érudition accompli par des philologues, philosophes et historiens qui ont rendu les textes présocratiques accessibles au lecteur moderne. Car la transmission de ces textes anciens a connu, on le devine, bien des vicissitudes. Les supports étaient fragiles, le temps ne les a pas épargnés. La langue archaïque, difficile à comprendre, vouait ces écrits aux aléas de l’interprétation. Au fil des siècles, des époques, des générations, chacun y alla de son point de vue avec des intentions diverses, plus ou moins avouées. Le plus souvent pour réfuter et toujours avec des mots et concepts, en appliquant sa propre logique et plus grave ses propres vues !

    Trois exemples parmi tant d’autres. Platon, l’un des premiers commentateurs est d’une grande partialité. Sérieux quand il admire, moqueur quand il réfute, muet quand il condamne. Dans toute son œuvre, pas une ligne sur Démocrite, un contemporain de son maître Socrate ! Aristote lit les philosophes présocratiques à travers sa propre philosophie et leur reproche de n’avoir pas compris ce qui lui a compris. Les théologiens chrétiens considèrent les philosophies présocratiques comme des hérésies. À ces commentaires pour le moins tendancieux, il faut ajouter diverses compilations, collections de morceaux choisis que l’on appelle doxographies ou catalogues d’opinions (du grec doxa, opinion). Parmi ces doxographes, le plus précieux et, oui, le plus divertissant, Diogène Laërce qui au IIIème siècle apr. J.C., écrivit dix livres sur les Vies et doctrines des philosophes illustres ! Savoureux recueil bourré d’anecdotes plus ou moins fiables, mais source d’importance pour connaître les présocratiques. Que savons-nous de Diogène Laërce ? Rien ou presque ! De son œuvre seule, il a fallu tout déduire. Qu’il vivait dans la première moitié du IIIème siècle puisqu’il ne mentionne pas les philosophes postérieurs à cette date. Était-il un philosophe ? Probablement pas. Plutôt un amateur éclairé, à l’insatiable curiosité, un poète aussi qui nous offre au fil des exposés quelques vers de sa composition. La rigueur n’était pas son fort et bien des inexactitudes se sont glissées dans son texte. Des incohérences dans la composition de l’ensemble ou d’un livre, déroutent souvent. Qu’importe ! « Les Vies offrent au lecteur une histoire populaire de la philosophie où le caractère des individus, leurs bons mots, leur comportement à la cour des princes, au marché, à une table d’auberge, aux bains, à la palestre, à l’école ou encore sur un bateau aux prises avec la tempête, sont pris en compte tout autant que leurs doctrines. De ce fait, lire Diogène Laërce, c’est aussi pénétrer dans le quotidien de la Grèce antique, à une époque où la philosophie et la vie se croisaient et s’influençaient l’une l’autre tout naturellement.

    Précisons enfin que les Grecs avaient coutume de donner comme date significative d’un grand homme, celle de son acmé [4], et comptaient par les olympiades [5] Ils n’avaient pas le scrupule de l’exactitude. Et c’est d’approximations qu’il faudra se contenter. Pour suivre nos philosophes aventuriers, la stricte chronologie quand elle ne fait pas défaut est sujette à trop de controverses pour être retenue. Mieux vaut se référer aux écoles de pensée et lieux géographiques qui le plus souvent se recoupent.

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    Note : Cette rubrique ainsi que ses sous-rubriques sont en cours de rédaction.


  • [1Un des peuples indo-européens qui s’installa en Grèce. Une grande partie d’entre eux émigrèrent dans la région située au Nord-Ouest de l’Asie Mineure (Eolide).

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    [2Philosophes et savants de l’école d’Ionie (région centrale de l’Asie Mineure colonisée par les ioniens, un des peuples indo-européens qui s’installa en Grèce). Thalès, Anaximandre, Anaximène.

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    [3Place publique

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    [4Sa maturité, le sommet de son activité intellectuelle, soit l’âge de quarante ans.

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    [5Une olympiade est la période de quatre années comprises entre deux célébrations successives des jeux olympiques. Les premiers eurent lieu en 776.

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