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Géronte d’Anjou
dimanche 20 décembre 2015, par
C’était un beau jeune homme, grand et jeune, et son rêve le plus cher était de délivrer son peuple de la misère et de la dette qu’il avait envers son seigneur. Chaque soir, ce miséreux jouait aux dés avec le noble Géronte, et pariait l’argent qu’il avait durement gagné en vendant son blé.
Le riche châtelain pariait tout l’argent qu’il possédait, sûr de gagner. Comment, me
demandez-vous ? Eh bien ! Voici l’histoire que je vais vous raconter.
Le seigneur visitait chaque jour un ami intime, dans l’une des échoppes du village. Celle-ci se nommait : Aux Dés Magiques. On y trouvait des tas de choses : des potions magiques, des paquets de cartes et bien sûr, des dés. Mais pas n’importe quels dés ! Ceux qu’il vendait étaient des dés truqués. Quand on les lançait, ils se retournaient invariablement sur le même chiffre déterminé à l’avance. Le seigneur Géronte n’avait qu’à parier de grosses sommes d’argent sans se soucier car les dés se retourneraient sur le chiffre que lui seul connaissait et ensuite, il pourrait empocher la somme qu’il avait gagnée. Le jour où le maître célébra ses soixante ans, il invita Guillaume à une partie de dés en présence de tous les nobles imaginables et bien sûr, le roi. Comme le voulait la coutume, Guillaume dut lui offrir un cadeau et se rendit donc dans la fameuse boutique des Dés Magiques pour lui acheter le plus beau paquet de carte qu’il pouvait se permettre de payer. En arrivant, il tomba sur le riche avare, en grande conversation avec le boutiquier.
Mes dés sont-ils prêt ? demanda Géronte sur un ton très discret.
Oui, mon sire. Quand vous les roulerez, le quatre s’affichera sur les deux dés. essayez donc, mon seigneur… insista le vilain.
Le noble prit les deux dés et les fi t rouler. A sa plus grande satisfaction, ils affichèrent tous les deux le chiffre quatre et il les mit prestement dans sa poche en payant vingt écus au marchand. Il s’en alla en claquant la porte derrière lui. Guillaume, surpris par la malhonnêteté du seigneur Géronte, se faufila dehors, furieux. Aujourd’hui, c’était sa seule chance de donner une bonne leçon à ce tricheur de Géronte et le ridiculiser, car pour ses soixante ans, il avait invité toute la cour et le roi pour le voir jouer une partie de dés.
Son plan était de changer les dés pendant que le maître regardait ailleurs et le prendre au piège en le faisant perdre. La nuit tombée, à six heures et demi très précises, il entra au château, une main dans la poche pour s’assurer que les dés étaient bien là.
Quand il vit que le roi parlait au seigneur Géronte, le vilain monta dans la pièce et échangea les dés truqués, tout content de lui. Lorsqu’il fut temps de dîner, le vilain se mit debout et proposa un toast à son adversaire de jeu, le seigneur Géronte : Mes chers amis, je voudrais proposer un toast à mon adversaire de jeu, le seigneur Géronte, qui est tellement chanceux et honnête car toujours gagnant, il suit toutes les règles, commenta-t-il ; il les connaît toutes par cœur devrais-je ajouter. Par exemple, mon sire, pourriez-vous réciter la règle numéro onze, paragraphe 4, ligne 6 ?
Euh ! Comme vous voudrez, hésita le noble en tremblant, « tous les 12 joueurs devront lancer les dés avec honnêteté, et s’il s’avère que les dés sont truqués ou qu’un adversaire est pris en délit de tricher, alors, il devra redonner tout ce qu’il avait malhonnêtement acquis et payer tout ce qu’il avait parié et conservé. »
Déjà, le vilain voyait avec bonheur, les gouttes de peur ruisseler sur le front du maître et l’observa tranquillement en train de s’essuyer sous son regard appuyé. Le vilain recommença à parler :
- C’était tout ce que je voulais dire. Merci mes chers amis de m’avoir écouté et encore une fois, bon anniversaire à mon bon ami Géronte, qui ne tricherait jamais aux dés et en qui j’ai complètement confiance, termina Guillaume.
Le seigneur regarda autour de lui et finalement très mal à l’aise, commença à manger avec tous ses invités. Deux heures plus tard, après avoir bien bu et bien mangé, les deux joueurs prirent place sur des chaises devant l’assemblée réunie et commencèrent à parier de l’argent ainsi que beaucoup d’autres choses comme la maison du noble, l’habit qu’il portait et tout l’argent que le noble possédait. Après avoir parié tout ce que les deux possédaient, ce cher Géronte affirma à voix haute :
"Je parie devant témoins que les dés tomberont sur le quatre."
Il roula les dés et en voyant l’horreur dans les yeux du maître, Guillaume comprit
immédiatement que les dés n’étaient pas tombés sur le quatre et il se leva pendant que tout le monde regardait le seigneur hébété.
- "Une autre chose, mon ladre, vous me devez cet habit que vous portez
alors donnez-le et sortez de cette maison car elle m’appartient de droit, ricana
Guillaume en voyant Géronte sortir dans ses sous-vêtements dans les rues de
France."
Ce jour-là, Guillaume donna les sept huitièmes de l’argent à son peuple et c’est pour cela que lorsque l’on regarde dans la liste des saints du calendrier, on trouve, à la date du 6 janvier, la Saint Guillaume, car celui-ci fut assez responsable pour ne pas envoyer le noble tout nu dans la rue !